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Page:Gérin-Lajoie - Jean Rivard, le défricheur, 1874.djvu/25

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JEAN RIVARD

le parti de m’éloigner, vous les connaissez, ma mère, et je suis convaincu que vous m’approuverez vous-même un jour. Ce qui m’encourage dans ce dessein, c’est l’espoir de me rendre utile à moi-même, à mes jeunes frères, et peut-être à mon pays. Si je partais pour une expédition lointaine, pour une terre étrangère, sans but arrêté, comme ont fait et comme font malheureusement encore un grand nombre de nos jeunes compatriotes, je concevrais vos inquiétudes. Mais non, Dieu merci, cette mauvaise pensée n’a jamais eu de prise sur moi ; je demeure dans le pays qui m’a vu naître, je veux contribuer à exploiter les ressources naturelles dont la nature l’a si abondamment pourvu ; je veux tirer du sol les trésors qu’il recèle, et qui, sans des bras forts et vigoureux, y resteront enfouis longtemps encore. Devons-nous attendre que les habitants d’une autre hémisphère viennent, sous nos yeux, s’emparer de nos forêts, qu’ils viennent choisir parmi les immenses étendues de terre qui restent encore à défricher les régions les plus fertiles, les plus riches, puis nous contenter ensuite de leurs rebuts ? Devons-nous attendre que ces étrangers nous engagent à leur service ? Ah ! à cette pensée, ma mère, je sens mes muscles se roidir et tout mon sang circuler avec force. Je possède de bons bras, je me sens de l’intelligence, je veux travailler, je veux faire servir à quelque chose les facultés que Dieu m’a données ; et si le succès ne couronne pas mes efforts, je me rendrai au moins le bon témoignage d’avoir fait mon devoir. »

La pauvre mère, en entendant ces nobles sentiments sortir de la bouche de son fils, dut se résigner et se contenter de pleurer en silence.