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JEAN RIVARD

son maître le croyait épuisé de fatigue qu’il l’amusait le plus par ses propos comiques et ses rires à gorge déployée.

Au bout d’une semaine, tous deux s’acquittaient, de leurs tâches respectives avec assez de promptitude ; ils pouvaient même y mettre une espèce de nonchalance, et jouir de certains moments de loisir qu’ils passaient à chasser l’écureuil ou la perdrix, ou à rêver, au fond de leur cabane, que le soleil réchauffait de ses rayons printaniers.

— « Sais-tu bien, disait un jour Jean Rivard à son homme qu’il voyait occupé à déguster une énorme trempette, sais-tu bien que nous ne sommes pas, après tout, de ces plus malheureux !

— Je le crois certes bien, répondit Pierre, et je ne changerais pas ma charge d’intendant pour celle de Sancho Panza, ni pour celle de Vendredi, ni pour celle de tous les Maréchaux de France.

— Il nous manque pourtant quelque chose…

— Ah ! pour ça, oui, c’est vrai, et ça me tient toujours à l’idée quand je vous vois jongler comme vous faisiez tout à l’heure.

— Que veux-tu dire ?

— Oh ! pardi, ça n’est pas difficile à deviner ; ce qui nous manque pour être heureux… comment donc ? eh ! c’est clair, c’est… la belle Dulcinée de Toboso.

— Pierre, je n’aime pas ces sortes de plaisanteries ; ne profane pas ainsi le nom de ma Louise ; appelle-la de tous les noms poétiques ou historiques que tu voudras, mais ne l’assimile pas à la grosse et stupide amante de Don Quichotte. Tu es bien heureux, toi, de badiner de tout cela. Si tu savais pourtant com-