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JEAN RIVARD

sociale ; j’en pourrais faire un, moins amusant mais beaucoup plus vrai, intitulé : Gustave Charmenil à la recherche d’un travail quelconque. Tu sais que j’ai toujours été timide, gauche : je ne suis guère changé sous ce rapport ; je crois même que ce défaut qui nuit beaucoup dans le monde s’accroît chez moi de jour en jour. Te dirai-je une chose, mon cher ami ? J’en suis venu à croire que, à moins d’avoir un extérieur agréable, une certaine connaissance du monde, une mise un peu élégante, et surtout une haute idée de soi-même et le talent de se faire valoir, il n’est guère possible de parvenir, ou comme on dit parmi nous, de « faire son chemin. » Le révolutionnaire Danton prétendait que pour réussir en révolution il fallait de l’audace, de l’audace et toujours de l’audace ; on pourrait adoucir un peu le mot et dire que pour réussir dans le monde il faut du front, du front, beaucoup de front. J’en connais, mon cher ami, qui, grâce à cette recette, font chaque jour des merveilles.

« L’agitation d’esprit dans laquelle je vis ne me permet de rien faire à tête reposée. Je ne puis pas même lire ; si je prends un livre, mes yeux seuls parcourent les lignes, mon esprit est ailleurs. Je ne puis rien écrire, et cette époque est complètement stérile pour ce qui regarde mon avancement intellectuel.

« Et pendant tout ce temps je suis seul à m’occuper ainsi de moi ; pas un être au monde ne s’intéresse activement à mon sort, à moi qui aurais tant besoin de cela !

« Mais ne va pas croire, mon cher ami, que je sois le seul à me plaindre. Une grande partie des jeunes