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bataille un coup d’arquebuse au moment où il protégeait la retraite de notre armée. Il faillit tomber de son cheval, mais il eut l’énergie de se retenir, et appelant son écuyer : — « Aidez-moi, dit-il, à descendre, et appuyez-moi contre cet arbre, le visage tourné vers les ennemis : jamais je ne leur ai montré le dos, je ne veux pas commencer en mourant. »

Tous ces compagnons d’armes l’entouraient en pleurant, mais lui, leur montrant les Espagnols qui arrivaient, leur dit de l’abandonner et de continuer leur retraite.

Bientôt en effet, les ennemis arrivèrent ; mais tous avaient un tel respect pour Bayard qu’ils descendaient de cheval pour le saluer.

A ce moment un prince français, Charles de Bourbon, qui avait trahi son pays et servait contre la France dans l’armée espagnole, s’approcha comme les autres de Bayard : — Eh ! capitaine Bayard, dit-il, vous que j’ai toujours aimé pour votre grande bravoure et votre loyauté, que j’ai grand’pitié de vous voir en cet état !

— Ah ! pour Dieu, Monseigneur, répondit Bayard, n’ayez point pitié de moi, mais plutôt de vous-même, qui êtes passé dans les rangs des ennemis et qui combattez à présent votre patrie, au lieu de la servir. Moi, c’est pour ma patrie que je meurs.

Le duc de Bourbon, confus, s’éloigna sans répliquer.

Peu de temps après, Bayard adressait tout haut à Dieu une dernière prière. La voix expira sur ses lèvres : il était mort.

Les ennemis, emportant son corps, lui firent un solennel service qui dura deux jours, puis le renvoyèrent en France.


— André, dit le petit Julien avec émotion, voilà un grand homme que j’aime beaucoup.

Et il ajouta tout bas en s’approchant de son aîné, d’un petit air contrit : — Sais-tu, André ? je n’ai pas été bien courageux quand nous avons quitté M. Gertal. J’étais si las et si triste que volontiers, au lieu d’aller plus loin, j’aurais voulu retourner à Phalsbourg ; il me semblait que je ne me souciais plus de rien que de vivre tranquille comme autrefois, mais j’ai eu bien honte de moi tout à l’heure en lisant la vie de Bayard. O André, j’ai dû te faire de la peine ; mais je vais tâcher à présent d’être plus raisonnable, tu vas voir.

André embrassa l’enfant :

— A la bonne heure, mon Julien, lui dit-il, nous ne sommes que de pauvres enfants, c’est vrai, mais néanmoins nous pouvons prendre ensemble la résolution d’être toujours courageux nous aussi et d’aimer, comme le grand Bayard, Dieu et notre chère France par dessus toutes choses.