Page:G. Bruno - Le Tour de la France par deux enfants, 1904.djvu/228

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des belles prairies de l’Auvergne, où on marchait tranquillement sans avoir peur d’être englouti ; et j’aurais bien aimé entendre les mugissements de vos grandes vaches rouges, au lieu des grondements terribles de l’Océan qui nous secouait.

Tout d’un coup, Jean-Joseph, voilà un bruit effroyable qui se fait entendre. J’en ai fermé les yeux d’épouvante ; je pensais : c’est fini, bien sûr, le navire est en morceaux.

— Rassure-toi, mon Julien, m’a dit alors André : c’est le grand mât qui s’est rompu ; mais nous en avons un de rechange. Notre oncle Frantz sait son métier de charpentier : il réparera cette avarie.

Mais malgré tout j’avais peur encore. Enfin, pour en finir, Jean-Joseph, vous saurez que la tempête a duré de cette manière un jour tout entier. Le soir, elle s’est calmée : — Dors sans inquiétude, petit Julien, m’a dit mon oncle.

Comme en effet je n’entendais plus le vent siffler et la mer gronder, je me suis mis à remercier Dieu de tout mon cœur et à m’endormir bien content.

C’était hier, tout cela, Jean-Joseph ; et aujourd’hui, pendant que j’en avais la mémoire fraîche, je vous ai tout raconté.

Maintenant, quand vous penserez à nous, Jean-Joseph, priez le bon Dieu pour que ces vilaines tempêtes ne reviennent pas ; car il paraît que c’est le moment de l’année où il y en a beaucoup. Nous avons encore bien des jours à passer sur le navire le Poitou, et il y a des endroits très mauvais où on va aller, les côtes de la Bretagne par exemple, et aussi les falaises de Normandie ; ces côtes-là, c’est tout plein de récifs, m’ont dit les matelots. Les récifs, voyez-vous, ce sont des rochers sous l’eau ; il y en a de pointus qui défoncent les navires quand le grand vent les pousse dessus. Bref, Jean-Joseph, tout cela est un peu triste. Mais que voulez-vous ? il n’arrive que ce que Dieu permet, et alors, à la volonté de Dieu. Cela fait que personne ne se désole ; tout le monde rit et travaille d’un bon courage ici, moi comme les autres.

Allons, si je continue, ma lettre n’aura pas de fin. Je vous embrasse donc bien vite, mon cher Jean-Joseph, et je prie Dieu pour que nous nous revoyions un jour.

Votre ami, JULIEN.