Page:Gaboriau - L’Affaire Lerouge.djvu/185

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

au bonheur si grand d’avoir un ami. Ne suis-je pas seule en ce monde et comme perdue dans un désert ! Folle et imprudente, je me livrais à vous sans réflexion comme au meilleur, au plus indulgent des pères.

Ce mot révélait à l’infortuné juge toute l’étendue de son erreur. Comme un marteau d’acier, il faisait voler en mille pièces le fragile édifice de ses espérances. Il se releva lentement et d’un ton d’involontaire reproche il répéta :

— Votre père !…

Mademoiselle d’Arlange comprit combien elle affligeait, combien elle blessait même cet homme dont elle n’osait mesurer l’immense amour.

— Oui, reprit-elle, je vous aimais comme un père, comme un frère, comme toute la famille que je n’ai plus. En vous voyant, vous si grave, si austère, devenir pour moi si bon, si faible, je remerciais Dieu de m’avoir envoyé un protecteur pour remplacer ceux qui sont morts.

M. Daburon ne put retenir un sanglot ; son cœur se brisait.

— Un mot, continua Claire, un seul mot m’eût éclairée. Que ne l’avez-vous prononcé ! C’est avec tant de douceur que je m’appuyais sur vous comme l’enfant sur sa mère ! Avec quelle joie intime je me disais : — « Je suis sûre d’un dévouement, j’ai un cœur où verser le trop-plein du mien ! » Ah ! pour-