Page:Gaboriau - L’Affaire Lerouge.djvu/364

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de calmer ses regrets. Avec le temps, elle se serait consolée, elle aurait oublié, peut-être. Elle n’aurait pu s’empêcher de m’être reconnaissante, et qui sait… Tandis que maintenant, quoi qu’il arrive, je suis pour elle un objet d’horreur. Jamais elle ne supportera ma vue. Je resterai éternellement pour elle l’assassin de son amant. J’ai, de mes propres mains, creusé entre elle et moi un de ces abîmes que les siècles ne comblent pas. Je la perds une seconde fois par ma faute, par ma très-grande faute.

Le malheureux juge s’adressait les plus amers reproches. Il était désespéré. Jamais il n’avait tant haï Albert, ce misérable qui, souillé d’un crime, se mettait en travers de son bonheur. Puis encore, combien il maudissait le père Tabaret ! Seul, il ne se serait pas décidé si vite. Il aurait attendu, mûri sa décision, et certainement reconnu les inconvénients qu’il découvrait à cette heure. Ce bonhomme emporté comme un limier mal dressé, avec sa passion stupide, l’avait enveloppé dans un tourbillon, ahuri, circonvenu, entraîné.

C’est précisément ce favorable quart d’heure que choisit le père Tabaret pour faire son apparition chez le juge.

On venait de lui apprendre la fin de l’interrogatoire, et il arrivait grillant de savoir ce qui s’était passé, haletant de curiosité, le nez au vent, gonflé du doux espoir d’avoir deviné juste.