Page:Gaboriau - L’Affaire Lerouge.djvu/442

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prononcer les paroles dont le souffle pareil à un tourbillon allait renverser le fragile édifice du bonheur de cette jeune fille. Lui humilié, lui dédaigné, il allait avoir sa revanche et il n’éprouvait pas le plus léger tressaillement d’une honteuse mais trop explicable satisfaction.

— Et si je vous disais, mademoiselle, commença-t-il, que M. Albert n’est pas innocent !

Elle se leva à demi, protestant du geste. Il poursuivit :

— Si je vous disais qu’il est coupable ?

— Oh ! monsieur, interrompit Claire, vous ne le pensez pas !

— Je le pense, mademoiselle, prononça le magistrat d’une voix triste, et j’ajouterai que j’en ai la certitude morale.

Claire regardait le juge d’instruction d’un air de stupeur profonde. Était-ce bien lui qui parlait ainsi ? Entendait-elle bien ? Comprenait-elle ? Certes, elle en doutait. Répondait-il sérieusement ? Ne l’abusait-il pas par un jeu indigne et cruel ? Elle se le demandait avec une sorte d’égarement, car tout lui paraissait possible, probable, plutôt que ce qu’il disait.

Lui n’osant lever les yeux, continuait d’un ton qui exprimait la plus sincère pitié :

— Je souffre cruellement pour vous, mademoiselle, en ce moment. Pourtant, j’aurai le désolant courage de vous dire la vérité, et vous celui de l’en-