Page:Gaboriau - L’Affaire Lerouge.djvu/510

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— De quelles affaires s’était donc mêlée votre femme ? demanda le magistrat. Allons, mon ami, contez-moi cela bien exactement. Ici, vous le savez, on doit dire non-seulement la vérité, mais encore toute la vérité.

Lerouge avait posé son chapeau sur une chaise. Alternativement il se détirait les doigts, les faisait craquer à les briser, ou se grattait la tête de toutes ses forces. C’était sa manière d’aller à la rencontre des idées.

— C’est pour vous dire, commença-t-il, qu’il y aura de cela trente-cinq ans à la Saint-Jean. Je devins amoureux de Claudine. Dame ! c’était une jolie fille, propre, avenante, avec une voix plus douce que le miel. C’était la plus belle du pays, droite comme un mât, souple comme l’osier, fine et forte comme un canot de course. Ses yeux pétillaient comme du vieux cidre ; elle avait des cheveux noirs, les dents blanches, et son haleine était plus fraîche que la brise du large. Le malheur est qu’elle n’avait rien, tandis que nous étions à l’aise. Sa mère, une veuve de trente-six maris, était, sauf votre respect, une pas grand’chose et mon père était l’honnêteté vivante. Quand je parlai au bonhomme d’épouser la Claudine, il jura son grand juron, et huit jours après il m’embarquait pour Porto sur la goëlette d’un voisin à nous, histoire de changer d’air. Je revins au bout de six mois, plus maigre qu’un tolet, mais plus