Page:Gaboriau - L’Affaire Lerouge.djvu/53

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

mille francs par an. Il avait en outre une maison, celle que j’habite. Nous y demeurions ensemble, et moi, sot, niais, imbécile, bête brute, tous les trois mois je payais notre terme au concierge.

— C’était fort ! ne put s’empêcher de dire M. Daburon.

— N’est-ce pas, monsieur ? C’était me voler mon argent dans ma poche. Pour comble de dérision, il laissait un testament où il déclarait au nom du Père et du Fils n’avoir eu en vue, en agissant de la sorte, que mon intérêt. Il voulait, écrivait-il, m’habituer à l’ordre, à l’économie, et m’empêcher de faire des folies. Et j’avais quarante-cinq ans, et depuis vingt ans je me reprochais une dépense inutile d’un sou ? C’est-à-dire qu’il avait spéculé sur mon cœur, qu’il avait… Ah ! c’est à dégoûter de la piété filiale, parole d’honneur !

La très-légitime colère du père Tabaret était si bouffonne, qu’à grand’peine le juge se retenait de rire, en dépit du fond réellement douloureux de ce récit.

— Au moins, dit-il, cette fortune dut vous faire plaisir ?

— Pas du tout, monsieur, elle arrivait trop tard. Avoir du pain quand on n’a plus de dents, la belle avance ! L’âge du mariage était passé. Cependant je donnai ma démission pour faire place à plus pauvre que moi. Au bout d’un mois, je m’ennuyais à périr,