Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/115

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tisans aisés des environs de Paris, semblait fort embarrassé de sa contenance. C’était Robelot, le rebouteux, qu’on avait fait rester, crainte de quelque nouvel accident.

L’entrée du père Plantat tira M. Courtois de l’état de morne stupeur dans lequel il était plongé.

Il se leva, et c’est en chancelant qu’il vint se jeter, ou plutôt s’abattre entre les bras du vieux juge de paix.

D’une voix déchirante, il disait :

— Ah ! mon ami, je suis bien malheureux ! oui, bien malheureux.

C’était à ne plus reconnaître l’infortuné maire, tant il était changé.

Non, ce n’était plus là cet heureux du monde, au visage souriant, au regard sûr de soi, dont le maintien, comme un défi jeté à tous, disait bien haut et l’importance et la prospérité. En quelques heures, il avait vieilli de vingt ans.

Il était brisé, foudroyé, et sa pensée éperdue flottait à la dérive au milieu d’un océan d’amertumes.

Il ne savait que répéter comme un mot vide de sens :

— Malheureux ! malheureux !

Le vieux juge de paix, cet homme si éprouvé, était bien l’ami qu’il fallait en ces crises terribles.

Il avait ramené M. Courtois jusqu’au canapé, et là, assis près de lui, tenant ses mains dans les siennes, il s’efforçait de calmer cette douleur sans bornes.

Il rappelait à ce père infortuné, que sa femme, la compagne de sa vie, lui restait, pour pleurer avec lui la pauvre morte. N’avait-il pas une autre fille à aimer, et à laquelle il se devait !

Mais cet homme malheureux était hors d’état de rien entendre.

— Ah ! mon ami, gémissait-il, vous ne savez pas tout. Si elle était morte ici, au milieu de nous, entourée de nos soins, réchauffée jusqu’à son dernier soupir par notre tendresse, mon désespoir serait infini et cependant bien faible en comparaison de celui qui me tue. Si vous saviez, si vous saviez…