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Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/14

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Il n’y avait pas un arbre dans la prairie. Le jeune homme se dirigea donc vers le parc de Valfeuillu, distant de quelques pas seulement, et, peu soucieux de l’article 391 du Code pénal, il franchit le large fossé qui entoure la propriété de M. de Trémorel. Il se proposait de couper une branche à l’un des vieux saules qui, à cet endroit, trempent au fil de l’eau leurs branches éplorées.

Il avait à peine tiré son couteau de sa poche, tout en promenant autour de lui le regard inquiet du maraudeur, qu’il poussa un cri étouffé.

— Mon père ! eh ! mon père !

— Qu’y a-t-il ? répondit sans se déranger le vieux braconnier.

— Père, venez, continua Philippe, au nom du ciel, venez vite !

Jean La Ripaille comprit à la voix rauque de son fils, qu’il se passait quelque chose d’extraordinaire. Il lâcha son écope, et, l’inquiétude aidant, en trois bonds il fut dans le parc.

Lui aussi, il resta épouvanté devant le spectacle qui avait terrifié Philippe.

Sur le bord de la rivière, parmi les joncs et les glaïeuls, le cadavre d’une femme gisait. Ses longs cheveux dénoués s’éparpillaient parmi les herbes aquatiques ; sa robe de soie grise en lambeaux était souillée de boue et de sang. Toute la partie supérieure du corps plongeait dans l’eau peu profonde, et le visage était enfoncé dans la vase.

— Un assassinat ! murmura Philippe dont la voix tremblait.

— Ça, c’est sûr, répondit La Ripaille d’un ton indifférent. Mais quelle peut être cette femme ? Vrai, on dirait la comtesse.

— Nous allons bien voir, dit le jeune homme.

Il fit un pas vers le cadavre ; son père l’arrêta par le bras.

— Que veux-tu faire malheureux ! prononça-t-il ; on