Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/146

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Ce serait absurde.

Donc, pour moi, ce lambeau de drap, cette veste sanglante affirment et l’innocence de Guespin et la scélératesse du comte de Trémorel.

— Cependant, objecta M. Gendron, si Guespin est innocent, que ne parle-t-il ? Que n’invoque-t-il un alibi ? Où a-t-il passé la nuit ? Pourquoi avait-il de l’argent plein son porte-monnaie ?

— Remarquez, monsieur, répondit l’agent de la sûreté, que je ne dis pas qu’il est innocent. Nous en sommes encore aux probabilités. Ne peut-on pas supposer que le comte de Trémorel, assez perfide pour tendre un piège à son domestique, a été assez habile pour lui enlever tous moyens de fournir un alibi.

— Mais, vous-même, insista le docteur, vous niez l’habileté du comte.

— Pardon, monsieur, entendons-nous. Le plan de M. de Trémorel était excellent et annonce une perversité supérieure ; l’exécution seule a été défectueuse. C’est que le plan avait été conçu et mûri en sûreté, et qu’une fois le crime commis, l’assassin, troublé, épouvanté du danger, a perdu son sang-froid et n’a réalisé ses conceptions qu’à demi.

Mais il est d’autres suppositions.

On peut se demander si, pendant qu’on assassinait la comtesse de Valfeuillu, Guespin ne commettait pas ailleurs un autre crime.

Cette hypothèse parut au docteur Gendron si invraisemblable qu’il ne put s’empêcher de protester.

— Oh ! fit-il.

— N’oubliez pas, messieurs, répliqua Lecoq, que le champ des conjectures n’a pas de bornes. Imaginez telle complication d’événements que vous voudrez, je suis prêt à soutenir que cette complication s’est présentée ou se présentera. Est-ce que Lieuben, un maniaque allemand, n’avait pas parié qu’il parviendrait à retourner un jeu de cartes dans un ordre indiqué par le procès-verbal du pari ? Pendant vingt ans, dix heures par jour,