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il a battu, tourné, rebattu et retourné ses cartes. Il avait, de son aveu, répété son opération quatre millions deux cent quarante-six mille vingt-huit fois, lorsqu’il gagna.

M. Lecoq allait peut-être continuer ses citations, le père Plantat l’interrompit d’un geste.

— J’admets, dit-il, vos préliminaires ; je les tiens pour plus que probables, pour vrais.

M. Lecoq parlait alors en se promenant de long en large, de la fenêtre aux rayons de la bibliothèque, s’arrêtant aux paroles décisives, comme un général qui dicte à ses aides de camp le plan de la bataille du lendemain.

Et les auditeurs s’émerveillaient à le voir et à l’entendre.

Pour la troisième fois, depuis le matin, il se révélait à eux sous un aspect absolument différent. Ce n’était plus ni le mercier retiré de la perquisition, ni le policier cynique et sentimental de la biographie.

C’était un nouveau Lecoq à la physionomie digne, à l’œil pétillant d’intelligence, au langage clair et concis, le Lecoq, enfin, que connaissent les magistrats qui ont utilisé le génie investigateur de ce remarquable agent.

Depuis longtemps il avait rentré la bonbonnière à portrait, et il n’était plus question des carrés de pâte qui, — pour employer une expression à son vocabulaire — constituent un des accessoires de sa physionomie de province.

— Maintenant, disait l’agent de la sûreté, écoutez-moi :

Il est dix heures du soir. Nul bruit au dehors, le chemin est désert, les lumières d’Orcival s’éteignent, les domestiques du château sont à Paris, M. et Mme  de Trémorel sont seuls au Valfeuillu.

Ils se sont retirés dans leur chambre à coucher.

La comtesse est assise devant la table sur laquelle est servi le thé. Le comte, tout en causant avec elle, va et vient par la chambre.

Mme  de Trémorel est sans pressentiment. — Son mari,