Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/163

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creux, je ne recevrai pas six pouces de fer dans le ventre.

Il eut un sourire mélancolique.

— Et pas de récompense, poursuivit-il, pour les périls que nous bravons. Que je tombe demain, on ramassera mon cadavre, on le portera à l’un des domiciles officiels qu’on me connaît et tout sera dit.

Le ton de l’homme de la police était devenu amer, la sourde irritation de sa voix trahissait bien des rancunes.

— Heureusement, reprit-il, mes précautions sont prises. Tant que je suis dans l’exercice de mes fonctions, je me défie, et quand je suis sur mes gardes, je ne crains personne. Mais il est des jours où on est las de craindre, où on veut pouvoir tourner court une rue sans redouter le poignard. Ces jours-là je redeviens moi-même ; je me débarbouille, je jette mon masque, ma personnalité se dégage des mille déguisements que j’endosse tour à tour. Voici quinze ans que je suis à la préfecture, nul n’y connaît mon visage vrai, ni la couleur de mes cheveux…

Maître Robelot, mal à l’aise sur son fauteuil, essaya un mouvement.

— Ah ! ne fais pas le méchant, lui dit M. Lecoq, changeant subitement de ton, il t’en cuirait, lève-toi plutôt et dis-nous ce que tu faisais dans ce jardin ?

— Mais vous êtes blessé ! s’écria le juge de paix, remarquant le filet de sang qui glissait le long de la chemise de l’agent de la sûreté.

— Oh ! ce n’est rien, monsieur, une égratignure, ce drôle avait un grand coutelas fort pointu dont il a voulu jouer…

Le juge de paix voulut absolument examiner cette blessure, et c’est seulement quand le docteur eut reconnu sa parfaite innocuité, qu’il s’occupa du rebouteux.

— Voyons, maître Robelot, demanda-t-il, que veniez-vous faire chez moi ?