Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/166

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La porte du cabinet noir refermée, le père Plantat tendit la main à l’agent de la sûreté.

— M. Lecoq, lui dit-il, d’une voix émue, vous venez probablement de me sauver la vie au péril de la vôtre ; je ne vous remercie pas. Un jour viendra, je l’espère, où il me sera possible…

L’homme de la préfecture l’interrompit d’un geste.

— Vous savez, monsieur, fit-il, combien ma peau est compromise, la risquer une fois de plus n’est pas un mérite ; puis, sauver la vie à un homme, ce n’est pas toujours lui rendre service…

Il resta pensif quelques secondes et ajouta :

— Vous me remercierez plus tard, monsieur, lorsque j’aurai acquis d’autres droits à votre gratitude.

M. Gendron, lui aussi, avait donné une cordiale poignée de main à l’agent de la sûreté.

— Laissez-moi, lui disait-il, vous exprimer toute mon admiration. Je n’avais pas idée de ce que peuvent être les investigations d’un homme de votre trempe. Arrivé ce matin, sans détails, sans renseignements, vous êtes parvenu par le seul examen du théâtre du crime, par la seule force du raisonnement et de la logique, à trouver le coupable ; et, bien plus, à nous démontrer, à nous prouver que le coupable ne peut pas être un autre que celui que vous dites.

M. Lecoq s’inclina modestement. En réalité, les éloges de ce juge si compétent chatouillaient délicieusement sa vanité.

— Et cependant, répondit-il, je ne suis pas encore parfaitement satisfait. Certes, la culpabilité de M. de Trémorel m’est surabondamment prouvée. Mais quels mobiles l’ont poussé ? Comment a-t-il été conduit à cette épouvantable détermination de tuer sa femme et d’essayer de faire croire que lui-même avait été assassiné ?

— Ne peut-on supposer, objecta le docteur, que dégoûté de Mme de Trémorel, il s’est défait d’elle pour rejoindre une autre femme aimée, adorée jusqu’à la folie ?

M. Lecoq hocha la tête.