Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/187

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Le passé lui apparaissant comme en un miroir fidèle, il était surpris, consterné, de l’imbécilité de ses plaisirs, de l’inanité des jouissances qui avaient été le but et comme la fin de son existence.

Et pour qui avait-il vécu, en définitive ? Pour les autres. Il avait cru poser sur un piédestal, il avait paradé sur un tréteau.

— Ah ! j’étais fou, se disait-il, j’étais fou !

Ne voyant pas qu’après avoir vécu pour les autres, pour les autres il allait se tuer.

Il s’attendrissait. Qui penserait à lui, dans huit jours ? Personne. Ah ! si, miss Fancy, peut-être, une fille ! Et encore, non. Dans huit jours elle serait consolée et rirait de lui avec un nouvel amant. Mais il se souciait bien de Fancy, vraiment !…

Cependant, les tambours battaient la retraite autour du jardin.

La nuit était venue, et avec la nuit un brouillard épais et froid se levait. Le comte de Trémorel quitta son banc, il était glacé jusqu’aux os.

— Retournons au chemin de fer, murmura-t-il.

Hélas ! en ce moment, l’idée de se brûler la cervelle au coin d’un bois, comme il le disait si allègrement le matin, lui fit horreur. Il se représenta son cadavre défiguré, sanglant, gisant sur le revers de quelque fossé. Que deviendrait-il ? Des mendiants passeraient, ou des maraudeurs, qui le dépouilleraient. Et après ? La justice viendrait, on enlèverait ce corps inconnu, et sans doute, en attendant la constatation de l’identité, on le porterait à la Morgue.

Il frissonna. Il se voyait étendu sur une de ces larges dalles de marbre qu’arrose un jet continu d’eau glacée ; il entendait le frémissement de la foule qu’attire en ce lieu sinistre une malsaine curiosité.

— Non ! jamais, s’écria-t-il, jamais !

Alors, comment mourir ? Il chercha et s’arrêta à l’idée de se tuer dans quelque hôtel garni de la rive gauche.

— Voilà qui est décidé, dit-il.