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Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/188

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Et, sortant du jardin avec les derniers promeneurs, il gagna le quartier latin.

Son insouciance du matin avait fait place à une résignation morne. Il souffrait, il se sentait la tête lourde, il avait froid.

— Si je ne devais mourir cette nuit, pensa-t-il, je serais bien enrhumé demain.

Cette saillie de son esprit ne le fit pas sourire, mais elle lui donna la conscience d’être un homme très-fort.

Il s’était engagé dans la rue Dauphine et cherchait des yeux un hôtel. Puis il pensa qu’il n’était pas sept heures et que demander une chambre, ce serait peut-être éveiller certains soupçons. Il réfléchit qu’il avait encore 140 fr. dans sa poche et résolut d’aller dîner. Ce serait son dernier repas.

En effet, il entra dans un restaurent, rue Contrescarpe, et se fit servir.

Mais il s’efforçait en vain de secouer la tristesse de plus en plus anxieuse qui l’envahissait. Il se mit à boire. Il vida trois bouteilles sans parvenir à changer le cours de ses idées. Retrouvant dans le vin l’amertume de ses réflexions, il lui semblait détestable, bien qu’il fût excellent et le plus cher de l’établissement, coté vingt-cinq francs sur la carte.

Et les garçons regardaient avec surprise ce dîneur lugubre qui touchait à peine aux mets qu’il demandait et qui, à mesure qu’il vidait son verre, devenait plus sombre.

La carte de son dîner s’éleva à 90 francs. Il jeta sur la table son dernier billet de cent francs et sortit.

Il n’était pas tard encore, il entra dans un estaminet plein d’étudiants qui buvaient, et alla s’asseoir à une table isolée, tout au fond de la salle, derrière les billards.

On lui apporta du café, et il vida dans sa tasse tout le carafon qu’on lui servit, puis un second, puis un troisième…

Il ne voulait pas en convenir, se l’avouer, il cherchait