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Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/19

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toutes les forces d’une intelligence supérieure, toutes les ressources d’un esprit éminemment délié à démêler le faux du vrai parmi tous les mensonges qu’il était forcé d’écouter.

Il s’obstina d’ailleurs à vivre seul, en dépit des exhortations de M. Courtois, prétendant que toute société le fatiguait, et qu’un homme malheureux est un trouble-fête. Le temps que lui laissait son tribunal, il le consacrait à une collection sans pareille de pétunias.

Le malheur qui modifie les caractères, soit en bien, soit en mal, l’avait rendu, en apparence, affreusement égoïste. Il assurait ne se pas intéresser aux choses de la vie plus qu’un critique blasé aux jeux de la scène. Il aimait à faire parade de sa profonde indifférence pour tout, jurant qu’une pluie de feu tombant sur Paris ne lui ferait seulement pas tourner la tête. L’émouvoir semblait impossible. — « Qu’est-ce que cela me fait, à moi ! » était son invariable refrain.

Tel est l’homme qui, un quart d’heure après le départ de Baptiste, arrivait chez le maire d’Orcival.

M. Plantat est grand, maigre et nerveux. Sa physionomie n’a rien de remarquable. Il porte les cheveux courts, ses yeux inquiets paraissent toujours chercher quelque chose, son nez fort long est mince comme la lame d’un rasoir. Depuis ses chagrins, sa bouche, si fine jadis, s’est déformée, la lèvre inférieure s’est affaissée et lui donne une trompeuse apparence de simplicité.

— Que m’apprend-on, dit-il dès la porte, on a assassiné Mme de Trémorel.

— Ces gens-ci, du moins, le prétendent, répondit le maire qui venait de reparaître.

M. Courtois n’était plus le même homme. Il avait eu le temps de se remettre un peu. Sa figure s’essayait à exprimer une froideur majestueuse. Il s’était vertement blâmé d’avoir, en manifestant son trouble et sa douleur devant les Bertaud, manqué de dignité.

— Rien ne doit émouvoir à ce point un homme dans ma position, s’était-il dit.