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Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/199

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Trémorel savait son ami riche, mais non tant que cela. Peut-être est-ce un mouvement irraisonné d’envie qui lui fit dire :

— Eh bien ! moi qui ai eu plus que cela, je n’ai pas déjeuné ce matin.

— Malheureux ! et tu ne me dis rien ! Mais c’est vrai, tu es dans un état à faire pitié ; viens du moins, viens vite !

Et il l’entraînait vers le restaurant.

Trémorel suivait de mauvaise grâce cet ami qui venait de lui sauver la vie. Il avait la conscience d’avoir été surpris dans une situation affreusement ridicule. Un homme bien résolu à se brûler la cervelle, si on l’appelle, presse la détente et ne cache pas son arme. Entre tous ses amis un seul l’aimait assez pour ne pas voir le ridicule, un seul était assez généreux pour ne pas le railler outrageusement, celui-là était Sauvresy.

Mais installé dans un cabinet devant une bonne table, Hector n’eut pas la force de conserver sa raideur. Il eut cette heure de sensibilité folle, d’expansion abandonnée qui suit le salut, après un péril immense. Il fut lui, il fut jeune, il fut vrai. Il dit tout à Sauvresy, absolument tout, ses forfanteries d’autrefois, ses terreurs au dernier moment, son agonie de l’hôtel, ses rages, ses regrets, ses angoisses au mont-de-piété…

— Ah ! disait-il, tu me sauves, tu es mon ami, mon seul ami, mon frère !…

Ils restèrent là à causer plus de deux heures.

— Voyons, dit enfin Sauvresy, arrêtons nos plans. Tu veux disparaître quelques jours ; je comprends cela. Mais tu vas ce soir même adresser quatre lignes aux journaux. Demain, je vais prendre tes affaires en main ; je m’y connais, sans savoir où tu en es, je me charge de te sauver encore une jolie aisance, nous avons de l’argent, tes créanciers seront coulants.

— Mais que deviendrai-je ? demanda Hector qu’effrayait la seule pensée de l’isolement.

— Comment ! Mais je t’emmène, parbleu ! chez moi,