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Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/198

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Hector le reconnut. C’était son plus ancien ami, un camarade de collège ; ils avaient été aussi liés que possible autrefois, mais le comte, ne le trouvant pas assez fort pour lui, avait cessé peu à peu de le voir et il l’avait perdu de vue depuis deux ans.

— Sauvresy ! fit-il, stupéfait.

— Moi-même, repartit le jeune homme, qui arrivait essoufflé et fort rouge ; voici bien deux minutes que je suis tes mouvements, que faisais-tu là ?

— Mais… rien, répondit Hector, embarrassé.

— Insensé ! reprit Sauvresy, c’est donc vrai ce qu’on m’a dit chez toi, ce matin, car je suis allé chez toi…

— Et que t’a-t-on dit ?

— Qu’on ne savait ce que tu étais devenu, que tu avais la veille quitté ta maîtresse en lui déclarant que tu allais te brûler la cervelle. Déjà un journal a annoncé ta mort avec force détails.

Cette nouvelle parut causer au comte de Trémorel une impression terrible.

— Tu vois donc bien, répondit-il d’un ton tragique, qu’il faut que je me tue !

— Pourquoi ? pour éviter à ce journal le désagrément d’une rectification ?

— On dira que j’ai reculé…

— Très-joli ! Alors, selon toi, on est forcé de faire une folie par cette raison qu’on a dit qu’on la ferait ! C’est absurde. Pourquoi veux-tu te tuer ?

Hector réfléchissait, il entrevoyait la possibilité de vivre.

— Je suis ruiné, répondit-il tristement.

— Alors c’est pour cela que… Tiens mon ami, laisse-moi te le dire, tu es fou ! Ruiné !… c’est un malheur, mais quand on a notre âge, on refait sa fortune. Sans compter que tu n’es pas si ruiné que tu le dis, puisque j’ai, moi, cent mille livres de rentes.

— Cent mille livres…

— Au bas mot, toute ma fortune étant en terres qui ne rapportent pas quatre pour cent.