Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/203

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tait une envie folle de fuir, de partir en quête d’émotions, d’aventures, de plaisirs, de tout ce qu’elle désirait, de tout ce qu’elle n’avait pas et qu’elle n’aurait jamais.

L’effroi de la misère — elle la connaissait — la retenait.

Il venait un peu, cet effroi, d’une très-sage précaution de son père, mort depuis peu, dont elle portait le deuil avec ostentation, qu’elle pleurait à chaudes larmes, mais dont elle maudissait la mémoire.

Lors de son mariage, Sauvresy désirait, par le contrat, reconnaître à sa future un apport de 500,000 francs. Le bonhomme Lechaillu s’était formellement opposé à cet acte de munificence.

— Ma fille ne vous apporte rien, avait-il déclaré, vous lui reconnaîtrez quarante mille francs de dot si vous voulez, mais pas un sou avec ; sinon… pas de mariage.

Et comme Sauvresy insistait.

— Laissez-moi donc, avait-il répondu, ma fille sera, je l’espère, une bonne et digne épouse, et en ce cas votre fortune est la sienne. Si, au contraire, elle venait à se mal conduire, quarante mille francs seraient encore trop. Après ça, si vous craignez de mourir le premier, vous êtes libre de faire un testament.

Force fut d’obéir. Peut-être le père Lechaillu, le digne maître d’école, connaissait-il sa fille.

Il était seul, en ce cas, à l’avoir devinée, car jamais une hypocrisie plus consommée ne fut mise au service d’une perversité si profonde qu’elle peut sembler exagérée, d’une dépravation inconcevable chez une femme jeune et ayant peu vu le monde.

Si elle se jugeait au fond du cœur la plus infortunée des créatures, il n’en parut jamais rien, ce fut un secret bien gardé.

Tous ses actes furent si bien marqués au coin d’une politique savante que son admirable comédie fit illusion, même à l’œil si perçant de la jalousie.

Elle avait su se composer pour son mari, à défaut de l’amour qu’elle ne ressentait pas, les apparences d’une