Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/211

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qui, tout à coup, tombait dans sa vie, analyser ses sensations, écouter ses pressentiments, étudier ses impressions pour s’en rendre maîtresse, enfin, arrêter, si elle pouvait, un plan de conduite.

Elle ne reparut que pour se mettre à table, quand son mari, qu’on avait attendu, revint sur les onze heures du soir.

Sauvresy mourait de faim et de soif, il paraissait brisé de fatigue, mais son excellente figure rayonnait.

— Victoire ! ami Hector, disait-il, tout en avalant son potage trop chaud, nous te tirerons des mains des Philistins. Dame ! les plus brillantes plumes de tes ailes y resteront, mais on te sauvera assez de duvet pour te faire un bon nid.

Berthe eut pour son mari un regard reconnaissant.

— Et comment cela ? demanda-t-elle.

— C’est bien simple. Du premier coup j’ai deviné le jeu des créanciers de notre ami. Ils comptaient obtenir la mise en vente de ses propriétés, ils les achetaient en bloc, à vil prix, comme toujours en ces occasions, les revendaient ensuite fort bien en détail et partageaient le bénéfice.

— Et tu empêcheras cela ? fit Trémorel d’un air incrédule.

— Parfaitement. Ah ! j’ai dérangé le plan de ces messieurs. J’ai réussi, ce qui est une chance, mais j’ai du bonheur, moi, à les tous réunir le soir même. Vous allez, leur ai-je dit, nous laisser vendre volontairement de gré à gré, sinon, je me mets de la partie et je brouille les cartes. Ils me regardaient d’un air goguenard. Mais mon notaire, que j’avais amené, ayant ajouté : « Monsieur est M. Sauvresy, et s’il veut deux millions, demain le Crédit foncier les lui avancera. » Nos hommes ont ouvert de grands yeux et ont consenti à tout ce que je voulais.

Quoi qu’il en eût dit, Hector connaissait assez ses affaires pour savoir qu’avec cette transaction on lui sauverait une fortune, petite, en comparaison de celle qu’il possédait, mais enfin une fortune.