Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/239

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qu’Hector s’inquiète de l’avenir ? On voit bien que vous ne savez rien de son caractère. Lui, songer à un intérieur, à une famille ! Il n’a jamais pensé et ne pensera jamais qu’à lui. Est-ce que s’il avait eu du cœur, il serait allé se pendre à vos crocs comme il l’a fait. N’avait-il donc pas deux bras, pour gagner son pain et le mien. J’avais honte, moi qui vous parle, de lui demander de l’argent, sachant que ce qu’il me donnait venait de vous.

— Mais il est mon ami, ma chère enfant.

— Agiriez-vous comme lui ?

Sauvresy ne savait vraiment que répondre, embarrassé par la logique de cette fille du peuple, jugeant son amant comme on juge dans le peuple, brutalement, sans souci des conventions imaginées dans la bonne compagnie.

— Ah ! je le connais, moi, poursuivait Jenny, s’exaltant à mesure que se présentaient ses souvenirs, il ne m’a trompée qu’une fois, le matin où il est venu m’annoncer qu’il allait se détruire. J’ai été assez bête pour le croire mort et pleurer. Lui, se tuer ! Allons donc, il a bien trop peur de se faire mal, il est bien trop lâche. Oui, je l’aime, oui, c’est plus fort que moi, mais je ne l’estime pas. C’est notre sort, à nous autres, de ne pouvoir aimer que des hommes que nous méprisons.

On devait entendre Jenny de toutes les pièces voisines, car elle parlait à pleine voix, gesticulant, et parfois donnant sur la table un coup de poing qui secouait les bouteilles et les verres.

Et Sauvresy s’inquiétait un peu de ce que penseraient les gens de l’hôtel, qui le connaissaient, qui l’avaient vu entrer. Il commençait à regretter d’être venu, et faisait tous ses efforts pour calmer miss Fancy.

— Mais Hector ne vous abandonne pas, répétait-il, Hector vous assurera une petite position.

— Eh ! je me moque bien de sa position ! Est-ce que j’ai besoin de lui ? Tant que j’aurai dix doigts et de bons yeux, je ne serai pas à la merci d’un homme. Il m’a fait