Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/242

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je le suivrai comme son ombre, j’irai partout crier le nom de l’autre. Il me fera jeter à Saint-Lazare ? On en sort. J’inventerai contre lui les plus horribles calomnies, on ne me croira pas sur le moment ; il en restera toujours quelque chose plus tard. Je n’ai rien à craindre, moi, je n’ai ni parents, ni amis, ni personne au monde qui se soucie de moi. Voilà ce que c’est que de prendre ses maîtresses dans la rue. Je suis tombée si bas que je le défie de me pousser plus bas encore. Ainsi, tenez, monsieur, vous êtes son ami, croyez-moi, conseillez-lui de me revenir.

Sauvresy ne laissait pas que d’être effrayé, il sentait vivement tout ce que les menaces de Jenny avaient de réel. Il est des persécutions contre lesquelles la loi est absolument désarmée. Et quand même ! À frapper dans la boue on s’éclabousse toujours plus ou moins.

Mais il dissimula la frayeur sous l’air le plus paternel qu’il put prendre.

— Écoutez, ma chère enfant, reprit-il, si je vous donne ma parole, vous m’entendez bien ? ma parole d’honneur de vous dire la vérité, me croirez-vous ?

Elle hésita une seconde, et dit :

— Oui ! vous avez de l’honneur, vous ; je vous croirai.

— Alors, je vous jure que Trémorel espère épouser une jeune fille, immensément riche, dont la dot assure son avenir.

— Il vous le dit, il vous le fait croire.

— Dans quel but ? Je vous affirme que depuis qu’il est au Valfeuillu. Il n’a eu, il ne peut avoir eu d’autre maîtresse que vous. Il vit dans ma maison, comme mon frère, entre ma femme et moi, et je pourrais dire l’emploi de toutes les heures de ses journées aussi bien que des miennes.

Miss Fancy ouvrait la bouche pour répondre, mais une de ces réflexions soudaines qui changent les déterminations les mieux arrêtées glaça la parole sur ses lèvres. Elle se tut et devint fort rouge, regardant Sauvresy avec une expression indéfinissable.