Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/270

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où l’avaient conduit ses atermoiements, l’étalage de ses convoitises d’argent. Elle se croyait le droit, maintenant, de disposer de lui sans se soucier de sa volonté, l’achetant en quelque sorte. Et ne pouvoir, n’oser rien dire !

— Il faut patienter, conseilla-t-il, attendre…

— Attendre quoi ? reprit-elle avec violence, qu’il soit mort ?

— Ne parlez pas ainsi, fit-il.

— Pourquoi donc ?

Berthe se rapprocha de lui, et, d’une voix sourde, sifflante :

— Il n’a plus huit jours à vivre, dit-elle, et tenez…

Elle sortit de sa poche et lui montra un petit flacon de verre bleu bouché à l’émeri.

— … Voici qui m’assure que je ne me trompe pas.

Hector devint livide et ne put retenir un cri d’horreur. Il comprenait tout, maintenant, il s’expliquait l’inexplicable facilité de Berthe, son affectation à ne plus parler de Laurence, ses propos bizarres, son assurance.

— Du poison, balbutiait-il, confondu de tant de perversité, du poison !

— Oui, du poison.

— Vous ne vous en êtes pas servie ?

Elle arrêta sur lui son regard insupportable de fixité, ce regard qui brisait sa volonté, sous lequel d’ordinaire il se débattait en vain, et d’une voix calme, appuyant sur chaque mot, elle répondit :

— Je m’en suis servie.

Certes, le comte de Trémorel était un homme dangereux, sans préjugés, sans scrupules, ne reculant devant aucune infamie quand il s’agissait de l’assouvissement de ses passions, capable de tout ; mais ce crime horrible réveilla en lui tout ce qui lui restait encore d’énergie honnête.

— Eh bien ! s’écria-t-il révolté, vous ne vous en servirez plus.

Il se dirigeait déjà vers la porte, frémissant, éperdu ; elle l’arrêta.