Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/278

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— Prends, dit-il à Trémorel, lis tout haut ce que je viens d’ajouter.

Hector se rendit au désir de son ami, bien que sentant que l’émotion devait faire chevroter sa voix, et il lut :

« Aujourd’hui (le jour et la date), sain d’esprit, bien que souffrant, je déclare n’avoir pas une ligne à changer à ce testament. Jamais je n’ai plus aimé ma femme, jamais je n’ai tant désiré la faire héritière, si je viens à mourir avant elle, de tout ce que je possède.

« Clément Sauvresy. »

Si forte était Berthe, si parfaitement et toujours maîtresse de ses impressions, qu’elle parvint à refouler la satisfaction immense qui l’inondait. Tous ses vœux étaient comblés, et pourtant elle parvint à voiler de tristesse l’éclat de ses beaux yeux.

— À quoi bon ! fit-elle avec un soupir.

Elle disait cela, mais une demi-heure plus tard, seule avec Trémorel, elle se livrait à tous les enfantillages de la joie la plus folle.

— Plus rien à craindre, disait-elle, plus rien ! À nous maintenant la liberté, la fortune, l’ivresse de notre amour, le plaisir, la vie, toute la vie ! Trois millions, Hector, nous avons trois millions au moins ! Je le tiens donc, ce testament ! Désormais il n’entrera plus un homme d’affaires ici. C’est maintenant que je vais me hâter !

Incontestablement, le comte était content de la savoir libre, parce qu’on se défait bien plus facilement d’une veuve millionnaire que d’une pauvre femme sans le sou. L’action de Sauvresy calmait ainsi bien des anxiétés aiguës.

Cependant, cette expansion de gaîté pareille à un éclat de rire, cette inaltérable sécurité lui semblèrent monstrueuses. Il eût souhaité plus de solennité dans le crime, quelque chose de grave et de recueilli. Il jugea qu’il devait au moins calmer ce délire.