Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/322

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À cette déclaration, fort nettement articulée par l’homme de la police, le juge d’instruction bondit dans son fauteuil.

— Mais c’est de la folie ! s’écria-t-il.

M. Lecoq ne s’est jamais permis un sourire en présence d’un magistrat.

— Je ne pense pas, répondit-il froidement. Je suis même persuadé que si monsieur le juge d’instruction veut bien me prêter une demi-heure d’attention, j’aurai l’honneur de l’amener à partager mes convictions.

Un imperceptible haussement d’épaules de M. Domini n’échappa pas à l’homme de la rue de Jérusalem, aussi crut-il devoir insister.

— Bien plus, je suis certain que monsieur le juge ne me laissera pas sortir de son cabinet, sans m’avoir remis un mandat d’amener décerné contre le comte Hector de Trémorel que présentement il croit mort.

— Soit, fit M. Domini, parlez.

Rapidement alors M. Lecoq se mit à exposer les faits recueillis tant par lui que par le juge de paix depuis le commencement de l’instruction. Il les exposait, non comme il les avait appris ou devinés, mais dans leur ordre chronologique et de telle sorte, que chaque incident nouveau qu’il abordait, découlait naturellement du précédent.

Plus que jamais, il était rentré dans son personnage de mercier bénin, s’exprimant d’une petite voix flûtée, outrant les formules obséquieuses : « J’aurai l’honneur, » ou « Si monsieur le juge daigne me permettre. » Il avait ressorti la bonbonnière à portrait et, comme la veille au Valfeuillu, aux passages palpitants ou décisifs, il avalait un morceau de réglisse.

Et à mesure qu’avançait son récit, la surprise de M. Domini devenait plus manifeste. Par moments il laissait échapper une exclamation.

— Est-ce possible ! C’est à n’y pas croire.

M. Lecoq avait terminé. Il goba tranquillement un carré de guimauve, et ajouta :