Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/349

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Cependant le vieux juge de paix avait terminé son inspection, lorsque le bruit d’une porte qui s’ouvrait le fit se retourner.

Il se trouvait en face d’un homme de son âge, à peu près, à figure respectable, aux manières distinguées, un peu chauve, portant lunettes à branches d’or et vêtu d’une robe de chambre de légère flanelle claire.

Le père Plantat s’inclina.

— J’attends ici M. Lecoq… commença-t-il.

L’homme aux lunettes d’or éclata de rire, joyeusement, franchement, frappant les mains l’une contre l’autre.

— Quoi ! cher monsieur, disait-il, vous ne me reconnaissez pas ? Mais regardez-moi donc, c’est moi, c’est bien moi, M. Lecoq.

Et pour convaincre le juge de paix, il ôta ses lunettes.

À la rigueur, ce pouvait être l’œil de M. Lecoq, ce pouvait être aussi sa voix. Le père Plantat était abasourdi.

— Je ne vous aurais pas reconnu, dit-il.

— C’est vrai je suis un peu changé, tenue de chef de bureau. Hélas ! que voulez-vous, le métier !…

Et avançant un fauteuil à son visiteur :

— J’ai mille excuses à vous demander, poursuivit-il, pour les formalités de l’entrée de ma maison. C’est une nécessité qui ne m’amuse guère. Je vous ai dit à quels périls je suis exposé ; ces dangers me poursuivent jusque dans mon domicile officiel. Tenez, la semaine dernière, un facteur du chemin de fer se présente porteur d’un paquet à mon adresse. Janouille — c’est ma bonne — à laquelle dix ans de Fontevrault ont cependant donné un fier nez, ne se doute de rien et le fait entrer. Il me présente le paquet, j’allonge la main pour le prendre, pif ! paf ! deux coups de pistolet éclatent. Le paquet était un revolver enveloppé de toile cirée, le faux facteur était un évadé de Cayenne serré par moi l’an passé. Ah ! je dois une fière chandelle à mon patron pour cette affaire-là.