Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/350

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Il contait cette affreuse aventure d’un ton dégagé, comme la chose la plus naturelle du monde.

— Mais en attendant qu’un mauvais coup réussisse, reprit-il, se laisser mourir de faim serait niais.

Il sonna, la virago parut aussitôt.

— Janouille, lui dit-il, à déjeuner, vite deux couverts et de bon vin surtout.

Le juge de paix avait bien du mal à se remettre.

— Vous regardez ma Janouille, poursuivait M. Lecoq. Une perle, cher monsieur, qui me soigne comme son enfant et qui pour moi passerait dans le feu. Et forte, avec cela. J’ai eu bien du mal, l’autre matin, à l’empêcher d’étrangler le faux facteur. Il faut dire que j’ai pris la peine de la trier, pour mon service, entre trois ou quatre mille réclusionnaires. Elle avait été condamnée pour infanticide et incendie. C’est à cette heure la plus honnête des créatures. Je parierais que depuis trois ans qu’elle est à mon service, elle n’a pas seulement eu la pensée de me voler un centime.

Mais le père Plantat n’écoutait que d’une oreille distraite, il cherchait le moyen de couper court aux louanges de Janouille, très-justes peut-être, mais déplacées à son avis, et de ramener l’entretien aux faits de la veille.

— Je vous dérange peut-être un peu matin, M. Lecoq ? commença-t-il.

— Moi ! vous n’avez donc pas vu mon enseigne ?… Toujours vigilant ! Tel que vous me voyez, j’ai déjà fait dix courses ce matin et taillé de la besogne à trois de mes hommes. Ah ! nous n’avons guère de morte saison nous autres ! Même je suis allé jusqu’aux Forges de Vulcain chercher des nouvelles de ce pauvre diable de Guespin.

— Et que vous a-t-on appris ?

— Que j’avais deviné juste. C’est mercredi soir, à dix heures moins le quart, qu’il a changé un billet de cinq cents francs.

— C’est-à-dire que le voilà sauvé ?