Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/75

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être roulé dessus, on a chiffonné les oreillers, froissé les couvertures, fripé les draps, mais on n’a pu lui donner pour un œil exercé l’apparence d’un lit dans lequel deux personnes ont dormi. Défaire un lit est aussi difficile, plus difficile peut-être que de le refaire. Pour le refaire, il n’est pas indispensable de retirer draps et couvertures et de retourner les matelas. Pour le défaire, il faut absolument se coucher dedans et y avoir chaud. Un lit est un de ces témoins terribles qui ne trompent jamais et contre lesquels on ne peut s’inscrire en faux. On ne s’est pas couché dans celui-ci…

— Je sais bien, remarqua le père Plantat, que la comtesse était habillée, mais le comte pouvait s’être couché le premier.

Le juge d’instruction, le médecin et le maire s’étaient approchés.

— Non, monsieur, répondit M. Lecoq, et je puis vous le prouver. La démonstration est facile d’ailleurs, et après l’avoir entendue, un enfant de dix ans ne se laisserait pas prendre à un désordre factice tel que celui-ci.

Il ramena doucement les couvertures et le drap du dessus au milieu du lit, tout en poursuivant :

— Ces oreillers sont très-froissés tous deux, n’est-ce pas ? Mais voyez en dessous le traversin, il est intact, vous n’y retrouvez aucun de ces plis que laissent le poids de la tête et le mouvement des bras. Ce n’est pas tout : regardez le lit à partir du milieu jusqu’à l’extrémité. Comme les couvertures ont été bordées avec soin, les deux draps se touchent bien partout. Glissez la main comme moi — et il glissait un de ses bras — et vous sentirez une résistance qui n’existerait pas si des jambes s’étaient allongées à cet endroit. Or, M. de Trémorel était de taille à occuper le lit dans toute sa longueur.

Si claire était la démonstration de M. Lecoq, si palpables étaient ses preuves qu’il n’y avait pas à douter.

— Ce n’est rien encore, continuait-il, passons au second matelas. On songe rarement au second matelas, quand pour des raisons quelconques on défait un lit ou