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Il comprenait que, seul, à peine maître de soi, livré aux inspirations de son inexpérience, jamais il n’aurait eu la patiente perspicacité de ce personnage singulier.

Lui, cependant, poursuivait, se parlant à lui-même, paraissant avoir absolument oublié la présence de Prosper :

— Donc, l’envoi ne venant pas du voleur, ne peut venir, c’est évident, que de l’autre personne, qui était près de la caisse au moment du crime, qui n’a pu l’empêcher, et qui maintenant à des remords. La probabilité de deux personnes lors du vol, probabilité affirmée par l’éraillure, se change maintenant en certitude indiscutable. Ergo, j’avais raison.

Le caissier écoutait de toutes ses forces, faisant des efforts d’imaginative pour comprendre quelque chose à ce monologue qu’il n’osait troubler.

— Cherchons, continuait le gros homme, cherchons quelle peut être cette seconde personne, que sa conscience taquine, et qui cependant n’a rien osé révéler.

Il prit la lettre, et fort lentement, à trois ou quatre reprises, la lut, en scandant les phrases, en pesant tous les mots.

— Évidemment, murmurait-il, bien évidemment, cette lettre a été composée par une femme. Jamais un homme, voulant rendre service à un autre homme, et lui envoyant de l’argent, n’aurait mis ce mot : secours, blessant s’il en est. Un homme aurait mis : prêt, subside, fonds, ou n’importe quel équivalent, mais secours, jamais. Seule, une femme, ignorante des sottes susceptibilités masculines, a pu trouver toute naturelle l’idée que représente ce mot. Quant à cette phrase : « Il est un cœur, etc., » elle ne peut avoir été pensée que par une femme.

Prosper, cette fois, avait pu suivre le travail d’inductions de son protecteur.

Vous vous trompez, je crois, monsieur, dit-il, aucune femme ne peut être mêlée à cette affaire.

M. Verduret ne releva pas l’interruption. Peut-être ne l’avait-il pas entendue, peut-être ne lui convenait-il pas de discuter ses opinions.