Page:Gaboriau - Le Dossier n°113, 1867.djvu/151

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

en moi les plus saintes croyances ; je sors de prison déshonoré par mes ennemis ; que devenir ? Vainement j’interroge l’avenir ; il n’y a plus, pour moi, ni espérances, ni promesses, ni sourires. Je regarde autour de moi, et je ne vois qu’abandon, ignominie et désespoir.

— Prosper, mon ami, mon frère, si vous saviez…

— Je ne sais qu’une chose, Madeleine, c’est que vous m’avez aimé, c’est que vous ne m’aimez plus, c’est que moi je vous aime !

Il se tut. Il espérait une réponse. Elle ne vint pas.

Mais tout à coup le silence fut troublé par un sanglot étouffé.

C’était la femme de chambre de Madeleine qui, assise près de la cheminée du petit salon pleurait.

Madeleine l’avait oubliée ; Prosper en entrant, ébloui, stupéfié, ne l’avait pas aperçue.

Il la regarda.

Cette jeune fille, vêtue comme les femmes de chambre des maisons aisées, c’était, il n’y avait pas à s’y tromper, c’était Nina Gypsy.

Si violente fut la commotion que ressentit Prosper, qu’il n’eut ni une exclamation, ni même une parole.

L’horreur de la situation l’épouvanta. Il était là, entre les deux femmes, qui avaient décidé de sa vie, entre Madeleine, la fière héritière qu’il adorait et qui le repoussait, et Nina Gypsy, la pauvre fille qui l’aimait et qu’il dédaignait.

Et elle avait tout entendu, cette malheureuse Gypsy, elle avait vu la passion de son amant pour une autre déborder en affreux regrets et en menaces insensées.

Par ce qu’il souffrait, Prosper comprit ce qu’elle avait dû souffrir. Car elle était atteinte, non-seulement dans le présent, mais encore dans le passé. Quelle ne devait pas être son humiliation et sa colère, en apprenant le rôle misérable que l’amour de Prosper lui avait imposé.

Et il s’étonnait que Gypsy, — la violence même, — restât là à pleurer et ne se levât pas pour protester, pour le maudire.