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Page:Gaboriau - Le Dossier n°113, 1867.djvu/152

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Madeleine, cependant, depuis que Prosper gardait le silence, avait réussi, à force d’énergie, à reprendre les apparences du calme.

Lentement, avec des mouvements dont elle paraissait à peine avoir conscience, elle avait repris son manteau déposé sur le canapé.

Lorsqu’elle fut prête à se retirer, elle s’approcha de Prosper.

— Pourquoi êtes-vous venu ? dit-elle. Vous et moi nous avons besoin de tout notre courage. Vous êtes malheureux, Prosper, je suis plus malheureuse que vous. Vous avez le droit de vous plaindre ; je n’ai pas, moi, le droit de laisser voir une larme, et quand mon cœur est déchiré, je dois encore sourire. Vous pouvez demander des consolations à un ami, je ne puis, moi, avoir d’autre confident que Dieu.

Prosper essaya de balbutier une réponse ; les paroles expirèrent sur ses lèvres ; il étouffait.

— Je veux bien vous le dire, poursuivit Madeleine, je n’ai rien oublié. Oh ! que cette certitude ne vous rende aucune espérance ; il n’est pas d’avenir pour nous. Si vous m’aimez, vous vivrez. Vous n’aurez pas la barbarie d’ajouter à mes tortures la douleur de votre mort. Un jour viendra peut-être où il me sera permis de me justifier… et maintenant, ô mon frère, ô mon unique ami, adieu, adieu !…

Elle se pencha en même temps vers Prosper, de ses lèvres elle effleura le front du malheureux jeune homme et sortit précipitamment, suivie de Nina Gypsy.

Prosper était seul ; il lui sembla qu’il s’éveillait.

Alors seulement, il s’efforça de se rendre compte de ce qui venait de se passer, se demandant s’il n’était pas le jouet d’un songe, si sa raison ne l’égarait pas.

Il ne pouvait méconnaître l’influence souveraine de cet homme qui, le matin même, lui était apparu pour la première fois.

De quelle mystérieuse puissance disposait donc cet inconnu, pour préparer ainsi, à son gré, les événements ?