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Le temps, si détestable au départ qu’il avait fait hésiter le cocher, était plus mauvais encore. La pluie tombait à torrents et un vent furieux secouait à les briser les branches noires des arbres, qui s’entrechoquaient avec des bruits funèbres.

L’obscurité était profonde, épaisse, rendue plus lugubre par le scintillement des réverbères de la gare, qu’on découvrait au loin, vacillants et près de s’éteindre, sous le souffle de la rafale.

Depuis cinq minutes M. Verduret et Prosper couraient au milieu du chemin détrempé et transformé en bourbier, quand tout à coup le caissier s’arrêta.

— Nous y sommes, dit-il, voici l’habitation de Raoul.

Devant la grille de fer d’une maison isolée, un fiacre, celui que M. Verduret et son compagnon avaient vu devant eux, était arrêté.

Renversé sur son siége, enveloppé tant bien que mal dans son manteau, en dépit du vent et de la pluie, le cocher dormait déjà, attendant le retour de la pratique qu’il venait de conduire.

M. Verduret s’approcha de la voiture, et tirant le cocher par son manteau, l’appela :

— Eh ! mon brave !

Le cocher s’éveilla en sursaut, rassemblant machinalement ses guides en balbutiant :

— Voilà, bourgeois, voilà !…

Mais quand, à la clarté de ses lanternes, il aperçut ces deux hommes en cet endroit perdu, il s’imagina qu’ils en voulaient peut-être à sa bourse, et, qui sait ? à sa vie, et il eut une peur affreuse.

— Je suis pris ! fit-il en agitant son fouet ; je suis retenu.

— Je le sais bien, imbécile ! dit M. Verduret, et je ne veux de toi qu’un renseignement que je te payerai cent sous. Ne viens-tu pas d’amener ici une dame d’un certain âge ?

Cette question, cette promesse de cinq francs, loin de rassurer le cocher, changèrent sa frayeur en épouvante.