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nocence véritable n’a pas les façons et les pudeurs effarouchées dont s’affuble l’innocence de convention. Valentine n’eut même pas d’idée d’ordonner à Gaston de se retirer.

Longtemps, elle appuyée sur son bras, ils marchèrent à petits pas, le long de la grande avenue.

Ils ne se dirent pas qu’ils s’aimaient, ils le savaient ; ils se dirent, les larmes aux yeux, qu’ils s’aimaient sans espoir.

Ils reconnaissaient que jamais ils ne triompheraient des haines absurdes de leurs familles ; ils s’avouaient que toute tentative serait une folie. Ils se jurèrent de ne s’oublier de leur vie, et se promirent de ne se revoir jamais, non, plus jamais… qu’une seule fois encore.

Hélas ! Valentine était plus excusable que bien d’autres. Âme timide et aimante, toujours les expansions de sa tendresse avaient été comprimées, glacées, par les duretés de la comtesse. Jamais entre Mme de La Verberie et Valentine, il n’y avait eu une de ces causeries intimes pendant lesquelles une bonne mère lit dans le cœur de sa fille comme en un livre ouvert.

De sa fille, Mme de La Verberie ne voyait que la beauté. Elle se disait alors :

— L’hiver prochain, j’emprunte, je conduis cette petite à Paris, dans le monde, et je serai bien malheureuse s’il ne se trouve pas quelque riche et amoureux prétendant, prêt à l’épouser pour ses beaux yeux et à me tirer, moi, de ma nauséabonde médiocrité.

Elle appelait cela aimer sa fille !…

Aussi le second rendez-vous ne fut pas le dernier.

Et pourtant, que d’obstacles à ces entrevues ! Gaston ne voulait se confier à aucun batelier, et, pour trouver un pont, il fallait faire plus d’une lieue.

C’est alors qu’il pensa que, franchir le fleuve à la nage serait bien plus court ; mais il était médiocre nageur, et traverser le fleuve à cet endroit est considéré par les plus habiles comme une grande témérité.

Peu importe ! il s’exerça en secret, et un soir, Valentine, épouvantée, le vit sortir de l’eau presqu’à ses pieds.