Page:Gaboriau - Le Dossier n°113, 1867.djvu/22

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’horreur-même de la situation donnait à Prosper, non le sang-froid d’une résolution réfléchie, mais cette sorte d’indifférence stupide qui suit les catastrophes inattendues.

C’est presque sans trouble apparent qu’il répondit :

— Je ne suis pas fou, par malheur, je ne rêve pas, je dis ce qui est.

Cette placidité dans un tel moment parut exaspérer M. Fauvel. Il saisit Prosper par le bras, et le secouant rudement :

— Parlez ! cria-t-il, parlez ! qui voulez-vous qui ait ouvert la caisse ?

— Je ne puis le dire.

— Il n’y a que vous et moi qui sachions le mot ; il n’y a que vous et moi qui ayons une clé !

C’était là une accusation formelle, du moins tous les auditeurs le comprirent ainsi.

Pourtant, le calme effrayant du caissier ne se démentit pas. Il se débarrassa doucement de l’étreinte de son patron, et, bien lentement, il dit :

— En effet, monsieur, il n’y a que moi qui aie pu prendre, cet argent…

— Malheureux !

Prosper se recula, et, les yeux obstinément attachés sur les yeux de M. André Fauvel, il ajouta :

— Ou vous !

Le banquier eut un geste de menace, et on ne sait ce qui serait arrivé si tout à coup on n’avait entendu à la porte, donnant sur le vestibule, le bruit d’une discussion.

Un client voulait absolument entrer, malgré les protestations des garçons, et, en effet, il entra. C’était M. de Clameran.

Tous les employés réunis dans le bureau se tenaient debout, immobiles, glacés ; le silence était profond, solennel. Il était aisé de voir que quelque question terrible, question de vie ou de mort se débattait entre tous ces hommes.