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Par moment, elle croyait ouïr, dominant le mugissement des flots, un cri terrible, le cri d’angoisse de celui qui se noie, la suprême protestation de l’homme intelligent, violenté et écrasé par les aveugles éléments.

Mais non, ce n’était pas le corps de Gaston.

Pendant que les hussards et les gendarmes regagnaient tristement le château de Clameran, Gaston réalisait un de ces prodiges dont on serait tenté de douter si les plus indiscutables témoignages ne venaient l’affirmer.

Tout d’abord, lorsqu’il avait plongé, il avait été roulé cinq ou six fois et entraîné vers le fond. C’est que, dans un fleuve débordé, le courant n’est pas égal à toutes les profondeurs ; là est surtout l’immense danger. Mais ce danger, Gaston le connaissait, il l’avait prévu. Loin d’user ses forces à une lutte vaine, il s’abandonna, ne songeant qu’à économiser son haleine.

Ce n’est guère qu’à une vingtaine de mètres de l’endroit où il s’était jeté qu’un vigoureux coup de reins le ramena à la surface.

Près de lui, avec la rapidité d’une flèche, filait le tronc d’arbre sur lequel tout à l’heure il était debout.

Durant quelques secondes, il se trouva empêtré au milieu de débris de toutes sortes ; un remous le dégagea.

Il ne songeait pas à gagner la rive opposée. Il se disait qu’il aborderait où il pourrait. Gardant sa présence d’esprit autant que s’il se fût trouvé dans des conditions ordinaires, il employait toute sa force et toute son adresse à obliquer lentement, sans cesser de rester dans le fil de l’eau, sachant bien que c’en serait fait de lui si le courant le prenait de travers.

Ce courant épouvantable est d’ailleurs aussi capricieux que terrible ; de là les bizarres effets des inondations. Selon les méandres du fleuve, il se porte tantôt à droite, tantôt à gauche, épargnant une rive, ravageant l’autre.

Gaston, qui avait une connaissance très-exacte de son fleuve, savait qu’un peu au-dessous de Clameran il y avait un coude brusque, et il comptait sur le remous de ce coude pour le porter sur La Verberie.