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— C’est ainsi, reprit Gaston, oubliant tout dans les sensations de l’heure présente. Voilà quel sort nous fait l’aveugle ressentiment de nos familles. Notre noble et saint amour est de ceux dont on se fait gloire en plein soleil, à la face de Dieu et des hommes, et on nous a réduits à nous cacher honteusement, misérablement, à nous cacher, pour nous aimer, autant que pour commettre une mauvaise action.

— Tout se sait, balbutia Valentine, tout se sait…

Au milieu du déchaînement des éléments, Gaston avait gardé son sang-froid, mais aux accents de cette voix aimée, son esprit s’exaltait jusqu’au délire.

— Et je n’ai pu, s’écriait-il, écraser, anéantir les infâmes qui ont osé prononcé ton nom adoré. Ah ! pourquoi n’ai-je tué que deux de ces misérables !…

Vous avez tué !… Gaston.

L’accent de profonde horreur de Valentine rendit à son ami une lueur de raison.

— Oui, répondit-il, essayant de se maîtriser, oui j’ai frappé… C’est pour cela que j’ai traversé le Rhône. Il y allait de l’honneur de mon nom. Il n’y a qu’un moment, tous les gendarmes du pays me traquaient comme une bête malfaisante. Je leur ai échappé, et maintenant je me cache, je fuis…

Il fallait à Valentine, une force d’âme peu commune pour ne pas succomber sous tant de coups inattendus.

— Où espérez-vous fuir ? demanda-t-elle.

— Eh ! le sais-je moi-même ! où je vais, ce que je deviendrai, quel avenir m’attend ?… Puis-je le prévoir ! Je fuis… je vais m’efforcer de gagner l’étranger, prendre un faux nom, un déguisement. Et j’irai, jusqu’à ce que je trouve un de ces pays sans lois, qui donnent asile aux meurtriers.

Gaston se tut. Il attendait, il espérait une réponse. Cette réponse ne venant pas, il reprit avec une véhémence extraordinaire :

— Si, avant de disparaître, j’ai voulu vous revoir, Valentine, c’est qu’en ce moment où tout m’abandonne,