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— Je vais, lui dit-il, vous prêter des habits de défunt mon fils ; ce sera toujours un déguisement, passez ici avec moi.

Bientôt le père Menoul et Gaston, presque méconnaissable, reparurent, et Valentine les suivit au bord de l’eau, à l’endroit où était amarré le bateau.

Une dernière fois, pendant que le bonhomme préparait ses agrès, les deux amants s’embrassèrent, échangeant leur âme en ce suprême adieu.

— Dans trois ans ! criait Gaston, dans trois ans !…

— Adieu, mam’selle, dit le vieux patron, et vous, mon jeune monsieur, tenez-vous bien.

Et d’un vigoureux coup de gaffe, il lança le bateau au milieu du courant.

Trois jours plus tard, grâce aux soins du père Menoul, Gaston était caché dans la cale du trois-mâts américain Tom-Jones, Capitaine Warth, qui le lendemain appareillait pour Valparaiso.


XIV


Immobile sur la berge, plus froide et plus blanche qu’une statue, Valentine regardait s’enfuir cette frêle embarcation qui emportait celui qu’elle aimait. Elle glissait au gré du courant, rapide comme l’oiseau qu’entraîne la tempête, et, après quelques secondes, elle n’était plus qu’un point noir à peine visible au milieu du brouillard qui se balançait au-dessus du fleuve.

Gaston parti, sauvé, Valentine pouvait, sans crainte, laisser éclater son désespoir. Il lui était inutile, désormais, de comprimer les sanglots qui l’étouffaient.

À sa noble vaillance de tout à l’heure, un affaissement mortel succédait. Elle se sentait anéantie, brisée, comme