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Là, aux jours qui s’envolent comme des heures, des nuits enflammées succèdent. Trente orchestres, tous les soirs, s’épuisent à lasser cent mille jarrets infatigables. Dans vingt théâtres, pleure le drame ou rit la comédie, tandis qu’à l’Opéra, les plus belles femmes de l’univers, étincelantes de diamants, se pâment aux accents de musiques divines.

Partout le bruit, la foule, le luxe, le plaisir.

Quel rêve ! Et le cœur de Louis de Clameran se gonflait de désirs, et il lui semblait que les chevaux marchaient plus lentement que des tortues.

Il ne songeait à donner au passé ni un regret ni un souvenir. Que lui importaient maintenant et son père et son frère ! Toutes les forces de son esprit il les appliquait à pénétrer les mystères de l’avenir qui l’attendait là-bas.

N’avait-il pas pour lui toutes les chances ? Il était jeune, il était beau, il avait une santé de fer, il portait un grand nom, et il était riche. Il avait dans sa poche vingt mille francs, et il pouvait s’en procurer dix fois autant encore.

C’était là, lui semblait-il, de ces trésors dont jamais on ne voit la fin.

Et quand le soir, à l’heure où le gaz s’allume, il sauta de la diligence sur le pavé boueux de Paris, il lui sembla qu’il prenait possession de la grande ville, qu’elle était à lui, qu’il pouvait l’acheter.

Les illusions de Louis de Clameran étaient celles de tout homme jeune, qui, sans jamais s’être trouvé aux prises avec les nécessités impérieuses de la vie, se voit soudain en possession d’un patrimoine.

C’est cette ignorance de la valeur réelle de l’argent qui gaspille les héritages et donne la volée aux vieux louis péniblement amassés de l’économe province.

Pénétré de son importance, habitué à la déférence des gens des environs, le jeune marquis avait quitté son pays en se disant qu’à Paris, tant par son nom que par sa fortune, il serait un personnage.

L’événement trompa singulièrement son attente. À sa