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grande surprise, il découvrit qu’il n’avait rien de ce qui, dans la ville immense, constitue une personnalité. Il reconnut qu’au milieu de cette foule indifférente et affairée, il passait aussi perdu, aussi inaperçu qu’une goutte d’eau au milieu d’un torrent.

Mais la peu flatteuse réalité ne pouvait décourager un garçon résolu surtout à donner coûte que coûte satisfaction à ses passions.

Le nom de ses pères n’eût qu’un privilége, désastreux pour son avenir : il lui ouvrit les portes du faubourg Saint-Germain.

Là, il connut un assez bon nombre d’hommes de son âge, tout aussi nobles que lui, dont les revenus égalaient la moitié ou même la totalité de son capital. Presque tous avouaient qu’ils ne se soutenaient que par des prodiges d’habileté et d’économie, et en réglant leurs vices et leurs folies aussi sagement qu’un bonnetier les sorties qu’il fait le dimanche avec sa famille.

Ces propos, et bien d’autres qui stupéfiaient le nouveau débarqué, ne lui ouvrirent pas les yeux. De ces jeunes gens économiquement prodigues, il s’efforça de copier les dehors brillants, sans songer à imiter leur prudence. Il apprit à dépenser, mais non à compter comme eux.

Il était marquis de Clameran, il s’annoncait comme ayant une grande fortune, il fut bien accueilli ; s’il n’eût pas un ami, il eut du moins quantité de connaissances. Au cercle où il fut présenté et reçu dès les premiers jours de son arrivée, il trouva dix complaisants qui se firent un plaisir de l’initier aux secrets de la vie élégante et de corriger ce qu’il pouvait y avoir d’un peu provincial en ses façons d’être ou de penser.

Il profita vite et bien des leçons. Après trois mois, il était lancé, sa réputation de beau joueur était établie, et il s’était fait noblement et glorieusement compromettre par une fille à la mode.

Descendu à l’hôtel, tout d’abord, il avait loué près de la Madeleine un confortable entresol, avec une remise et une écurie pour trois chevaux.