arrivait sous les noyers. Depuis longtemps déjà la vieille Mihonne l’attendait.
— Vous voilà donc, cher bon monsieur, fit-elle avec un accent de joie, déjà je me désespérais…
— Oui, c’est moi, ma brave femme, voyons, qu’avez-vous à me dire ?
— Ah ! bien des choses, monsieur le marquis, mais, avant tout, avez-vous des nouvelles de votre frère ?
Louis regretta presque d’être venu, pensant que la vieille radotait.
— Vous savez bien, répondit-il, que mon pauvre frère s’est jeté dans le Rhône et qu’il y a péri.
— Quoi ! s’écria Mihonne, quoi ! vous aussi vous ignorez qu’il s’est sauvé ! Oui, il a fait ce que personne plus ne fera, il a traversé en nageant le Rhône débordé. Le lendemain, Mlle Valentine est allée à Clameran pour dire la nouvelle, Saint-Jean l’a empêchée d’arriver jusqu’à vous. Plus tard, je suis allée vous porter une lettre, vous étiez parti.
Ces révélations, après vingt ans, confondaient Louis.
— Ne prenez-vous pas vos rêves pour des réalités, ma bonne mère ? dit-il doucement.
Mihonne secoua tristement la tête.
— Non, continua-t-elle, non. Et si le père Menoul était de ce monde encore, il vous dirait comment il a conduit M. Gaston jusqu’à la Camargue, et comment de là votre frère a gagné Marseille et s’y est embarqué. Mais ceci n’est rien encore : M. Gaston a un fils.
— Mon frère, un fils !… Décidément, ma bonne vieille, vous perdez la tête.
— Hélas ! non, pour mon malheur dans ce monde et dans l’autre, il a eu un fils de Mlle Valentine, un pauvre innocent que j’ai reçu dans mes bras à l’étranger, et que j’ai porté à la femme qui l’a pris pour de l’argent.
Alors Mihonne raconta tout, les colères de la comtesse, le voyage à Londres, l’abandon du petit Raoul.
Avec cette sûreté de mémoire des gens qui, ne sachant ni lire ni écrire, ne peuvent se confier au papier,