Page:Gaboriau - Le Dossier n°113, 1867.djvu/398

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— Quoi ? Que tu as envie de reculer ? C’est un peu tard t’y prendre. Ah ! ah !… Monsieur veut toutes les jouissances du luxe, de l’or plein les poches, des chevaux de race, enfin tout ce qui brille et tout ce qui fait envie… seulement, monsieur désire rester vertueux. Il fallait naître avec des rentes alors. Imbécile !… As-tu jamais vu des gens comme nous puiser des millions aux sources pures de la vertu ? On pêche dans la boue, mon neveu, et on se débarbouille après.

— Je n’ai jamais été assez riche pour être honnête, fit humblement Raoul, seulement, torturer deux femmes sans défense, assassiner un pauvre diable qui se croit mon ami, dame ! c’est dur.

Cette résistance qu’il taxait d’absurde, de ridicule, exaspérait au dernier point Louis de Clameran.

— Tiens ! s’écria-t-il, décidément tu me fais pitié ! Une occasion se présente, inouie, inespérée, invraisemblable de faire notre fortune d’un coup, et tu te cabres. Il n’y a qu’un âne pour refuser, ayant soif, de boire parce qu’il voit un peu de vase au fond de son seau. Tu préférerais des gredineries de détail, n’est-ce pas ? Où conduit ton système ? À l’hôpital ou à « la centrale, » avec accompagnement de gendarmes. Sais-tu où j’en étais, il y a un an, après vingt années de prodiges à faire pâlir toutes les diplomaties ? à regarder mes pistolets avec amour. Tu aimerais donc mieux vivoter aux crochets de madame Fauvel, carottant tous les mois un ou deux billets de mille après des mamours ?

— Je ne suis ni ambitieux ni cruel…

— Et après ? Suppose que Mme Fauvel meure demain, que deviens-tu ? Iras-tu, le crêpe au chapeau, prier le veuf de te continuer tes petites rentes ?

D’un geste de colère, Raoul interrompit son oncle.

— Assez, dit-il, je n’ai jamais eu l’idée de reculer. Si je t’ai présenté mes objections, c’est que je voulais te montrer d’abord quelles infamies tu attends de moi, et te prouver que sans moi tu ne peux rien.

— Je n’ai jamais prétendu le contraire.