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— Oui, répondit négligemment Raoul, c’est à peu près ce que m’a prêté le Mont-de-Piété.

— Peste ! tu dois avoir de belles économies, car la demoiselle des Délassements n’est, je l’imagine, qu’un prétexte ?

— Ceci, cher oncle, est mon affaire. Souviens-toi de nos conventions. Ce que je puis te dire, c’est que madame Fauvel et Madeleine ont fait argent de tout ; elles n’ont plus rien, et moi j’ai assez de mon rôle.

— Aussi ton rôle est-il fini. Je te défends désormais de demander un centime.

— Où en sommes-nous donc ? Qu’y a-t-il ?

— Il y a, mon neveu, que la mine est assez chargée, et que je n’attends plus qu’une occasion pour y mettre le feu.

Cette occasion, qu’attendait avec une fiévreuse impatience Louis de Clameran, son rival, Prosper Bertomy, devait, pensait-il, la lui fournir.

Il aimait trop Madeleine pour ne pas être jaloux jusqu’à la rage de l’homme que, librement, elle avait choisi, pour ne pas le haïr de toute la force de sa passion.

Il ne tenait qu’à lui, il le savait, d’épouser Madeleine ; mais comment ? Grâce à d’indignes violences, en lui tenant le couteau sur la gorge. Il se sentait devenir fou à l’idée qu’il la posséderait, que son corps serait à lui, mais que sa pensée, échappant à sa puissance, s’envolerait vers Prosper.

Aussi s’était-il juré qu’avant de se marier il précipiterait le caissier dans quelque cloaque d’infamie, d’où il lui serait impossible de sortir. Il avait songé à le tuer, il aimait mieux le déshonorer.

Jadis il s’était imaginé qu’il lui serait aisé de perdre l’infortuné jeune homme ; il supposait que lui-même en fournirait les moyens. Il s’était trompé.

Prosper menait, il est vrai, une de ces existences folles qui conduisent le plus souvent à une catastrophe finale, mais il mettait un certain ordre à son désordre. Si sa situation était mauvaise, périlleuse, s’il était dévoré de