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Page:Gaboriau - Le Dossier n°113, 1867.djvu/407

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besoins, harcelé par les créanciers, réduit aux expédients, il était impossible de s’en apercevoir, tant ses précautions étaient bien prises.

Toutes les tentatives faites pour hâter sa ruine avaient échoué, et c’est vainement que Raoul, les mains pleines d’or, jouant le rôle du tentateur, avait essayé de préparer sa chute.

Il jouait gros jeu, mais il jouait sans passion, presque sans goût, et jamais l’exaltation du gain ni le dépit de la perte ne lui faisaient perdre son sang-froid.

Sa maîtresse, Nina Gypsy, était dépensière, extravagante, mais elle lui était dévouée et ses fantaisies ne dépassaient pas certaines limites.

En bien examinant sa conduite, elle était celle d’un homme désolé qui s’efforce de s’étourdir, mais qui cependant n’a pas abdiqué toute espérance, et qui cherche surtout à gagner du temps.

Intime ami de Prosper, son confident, Raoul avait, d’un œil sagace, jugé la situation et pénétré les sentiments secrets du caissier.

— Ne compte pas sur une folie de ce garçon, avait dit Raoul à son oncle, ses déceptions amoureuses ont laissé sa tête plus froide que celle d’un usurier. Ce qu’il voit dans l’avenir, nul ne le sait. Peut-être, arrivé au bout de son rouleau, se brûlera-t-il la cervelle ; ce qui est sûr, c’est que jamais il ne se résoudra à une action basse ou même indélicate ; jamais il ne touchera à la caisse confiée à son honneur.

— Il faudrait le pousser plus vivement, répondait Clameran, l’entourer, lui prêter de l’argent, caresser sa vanité, semer des caprices dans la cervelle de Mme Gypsy.

Raoul secouait la tête, en homme convaincu de l’inanité de ses efforts.

— Tu ne connais pas Prosper, mon oncle. On ne galvanise pas un mort. Madeleine l’a tué, le jour où elle l’a exilé. Tout lui est indifférent, il ne prend intérêt à rien.

— Nous attendrons.