Page:Gaboriau - Le Dossier n°113, 1867.djvu/420

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nerai pas dans la boue le nom que tu m’as donné. J’aurai au moins le vulgaire courage de ne pas survivre à mon déshonneur. Va, ma mère… ne me plains pas… Je suis de ceux après lesquels s’acharne la destinée, et qui n’ont de refuge que la mort. Je suis un être fatal. N’as-tu pas été condamnée à maudire ma naissance ? Longtemps mon souvenir a hanté comme un remords tes nuits sans sommeil. Plus tard, je te retrouve, et pour prix de ton dévoûment, j’apporte dans ta vie un élément funeste…

— Ingrat !… t’ai-je jamais fait un reproche ?

— Jamais. Aussi, est-ce en te bénissant et ton nom chéri sur les lèvres que va mourir ton Raoul.

— Mourir, toi !…

— Il le faut, ma mère, l’honneur commande ; je suis condamné par des juges sans appel, ma volonté et ma conscience.

Une heure plus tôt, Mme Fauvel eût juré que Raoul lui avait fait souffrir tout ce que peut endurer une femme, et voici que cependant il lui apportait une douleur nouvelle, si aiguë, que les autres, en comparaison, ne lui semblaient plus rien.

— Qu’as-tu donc fait ? balbutia-t-elle.

— On m’a confié de l’argent ; j’ai joué, je l’ai perdu.

— C’est donc une somme énorme ?

— Non, mais ni toi ni moi ne saurions la trouver. Pauvre mère ! ne t’ai-je pas tout pris ? Ne m’as-tu pas donné jusqu’à ton dernier bijou ?

— Mais M. de Clameran est riche, il a mis sa fortune à ma disposition, je vais faire atteler et aller le trouver.

M. de Clameran, ma mère, est absent pour huit jours, et c’est ce soir que je dois être sauvé ou perdu. Va ! j’ai songé à tout avant de me décider. On tient à la vie, à vingt ans.

Il sortit à demi le pistolet qu’il avait dans sa poche, et ajouta avec un sourire forcé :

— Voici qui arrange tout.

Mme Fauvel était trop hors de soi pour réfléchir à