Page:Gaboriau - Le Dossier n°113, 1867.djvu/479

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dule, je l’aimais, ce garçon, je lui serrais les mains, je lui prêtais mon argent…

Il se représentait alors Raoul et sa femme s’égayant, à leurs rendez-vous, de sa débonnaireté candide, et les aiguillons de l’amour-propre offensé s’ajoutant à ces horribles déchirements, il connut le plus horrible supplice qui soit ici-bas.

La mort ! Il ne voyait que la mort pour punir de telles injures. Mais l’intensité même de son ressentiment lui donna la force de feindre, de se contenir.

— À mon tour de tromper les misérables, se disait-il avec une affreuse satisfaction.

Il fut ce soir-là ce qu’il était toujours. Au dîner il plaisanta. Seulement lorsque, sur les neuf heures, il vit entrer Clameran, il s’enfuit, craignant de ne pouvoir se contenir, et il ne rentra que très-avant dans la nuit.

Le lendemain, il recueillit le fruit de sa prudence.

Parmi les lettres qu’à la distribution de midi lui apporta son valet de chambre, il s’en trouva une qui portait le timbre du Vésinet.

Avec d’infinies précautions il rompit le cachet et il lut :

« Chère tante,

« Il est indispensable que je te voie aujourd’hui même, et je t’attends.

« Je te dirai quelles raisons m’empêchent d’aller chez toi.

« raoul. »

— Je les tiens donc, s’écria M. Fauvel, frémissant de la joie de la vengeance satisfaite.

Il se croyait si bien vengé, qu’ouvrant un des tiroirs de son bureau, il en tira un revolver dont il fit jouer la batterie.

Certes, il se croyait seul, et cependant il avait un témoin de ses moindres gestes. L’œil collé à la serrure, Nina Gypsy, de retour du Grand-Archange, observait, et les gestes du banquier lui révélaient la vérité.