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— Votre tour viendra, allez, répondait invariablement le geôlier.

Et le temps passait, et le malheureux torturé par les angoisses du secret, qui brise les plus énergiques natures, tombait dans le plus sombre désespoir.

— Suis-je donc ici pour toujours ? s’écriait-il.

Non, on ne l’oubliait pas, car le lundi matin, à une heure où les geôliers ne venaient jamais, il entendit grincer les verroux de la cellule.

D’un bond il se dressa et courut vers la porte.

Mais à la vue d’un homme à cheveux blancs debout sur le seuil, il fut comme foudroyé.

— Mon père, balbutia-t-il, mon père !…

— Oui, votre père…

À la stupeur première de Prosper, un sentiment de joie immense avait succédé.

C’est qu’un père, quoi qu’il arrive, est l’ami sur lequel on doit compter. Aux heures terribles, lorsque tout appui manque, on se souvient de cet homme sur lequel on s’appuyait étant enfant, et, alors même qu’il ne peut rien, sa présence rassure comme celle d’un protecteur tout puissant.

Sans réfléchir, entraîné par un élan d’effusion attendrie, Prosper ouvrit les bras nomme pour se jeter au cou de son père.

M. Bertomy le repoussa durement.

— Éloignez-vous, ordonna-t-il.

Il s’avança alors dans la cellule, dont la porte se referma. Le père et le fils étaient seuls en présence. Prosper brisé, anéanti, M. Bertomy irrité, presque menaçant.

Repoussé par ce dernier ami, un père, le malheureux caissier parut se roidir contre une douleur atroce.

— Vous aussi, s’écria-t-il, vous !… vous me croyez coupable.

— Épargnez-vous une comédie honteuse, interrompit M. Bertomy, je sais tout.

— Mais je suis innocent, mon père, je vous le jure par la mémoire sacrée de ma mère.