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J’ai vu votre patron hier. Ce matin, j’ai vu votre juge, et c’est à sa bonté que je dois d’avoir pu pénétrer jusqu’à vous. Savez-vous que j’ai dû, moi, me laisser fouiller, déshabiller presque, pour entrer ici. On pensait que je vous apportais une arme.

Prosper n’essayait plus de lutter. Il s’était laissé tomber, désespéré, sur le tabouret de sa prison.

— J’ai vu votre appartement et j’ai compris votre crime. J’ai vu des tentures de soie à toutes les portes et des tableaux à cadres dorés le long de tous les murs. Chez mon père, les murs étaient blanchis à la chaux, et il n’y avait qu’un fauteuil dans la maison, celui de ma mère. Notre luxe, c’était notre probité. Vous êtes le premier de la famille qui ayez eu des tapis d’Aubusson ; il est vrai que vous êtes le premier voleur qui se soit trouvé dans notre famille.

À cette dernière insulte, le sang afflua aux joues de Prosper ; cependant il ne bougea pas.

— Mais il faut du luxe maintenant, poursuivait M. Bertomy, s’animant et s’exaltant au bruit de ses paroles ; il faut du luxe à tout prix. On veut l’opulence insolente et le faste du parvenu avant d’être parvenu. On entretient des maîtresses, qui portent des mules de satin doublées de cygne, comme celles que j’ai vues au pied de votre lit, et on a des domestiques en livrée. Et on vole ! Et les banquiers en sont venus à n’oser plus confier à personne la clé de leur caisse. Et tous les matins, quelque vol inattendu couvre de boue des familles honorables…

M. Bertomy s’arrêta brusquement. ; il venait de s’apercevoir que son fils paraissait hors d’état de l’entendre.

— Brisons là, reprit-il, je ne suis pas venu ici pour vous faire des reproches, je suis venu pour sauver, s’il se peut, quelque chose de notre honneur, pour empêcher qu’on imprime notre nom dans les journaux judiciaires, parmi les noms des voleurs et des assassins. Levez-vous et écoutez-moi.

À la voix impérieuse de son père, Prosper se dressa